En 1972, le psychologue américain Paul Eckmann, pionnier dans l’étude des émotions et de leur expression faciale, a élaboré une liste de six émotions fondamentales : la joie, la colère, la peur, la tristesse, la surprise et le dégoût. Ce qui est étonnant, c’est que la culpabilité et la honte n’en faisaient alors pas partie. Il aura fallu attendre près de vingt ans pour que Paul Eckmann, en 1990, élargisse sa liste en y ajoutant une série d’émotions positives mais aussi la gêne, le mépris et enfin la culpabilité et la honte.
Or, la culpabilité et la honte sont deux émotions que nous rencontrons régulièrement dans notre pratique de médiateurs, souvent combinées l’une à l‘autre, et qui ont un impact dévastateur sur les personnes qui en sont prisonnières. La honte se distingue des autres émotions par sa dimension à la fois intime et sociale, et peut d’ailleurs être définie comme la version sociale de la culpabilité. La culpabilité, quant à elle, est une émotion proche du concept du remords et est causée par la transgression d’une norme morale.
Mais ce qui distingue le plus la culpabilité et la honte des autres émotions, c’est qu’elles sont de fait socialement taboues : il nous est très difficile d’en parler et nous les enfouissons alors au plus profond de nous. Car nous pouvons nous sentir indignes, dévalorisés, déshonorés. Nous sommes écrasés par le poids des remords, des regrets ou de ce que nous considérons « notre faute ». Nous subissons le regard des autres, ne savons plus comment retrouver notre dignité. Nous n’arrivons plus à nous relever, nous nous recroquevillons, perdons notre connexion à nous-mêmes, notre lien aux autres et au monde. La culpabilité et la honte agissent comme un poison qui nous ronge de l’intérieur.
Les émotions sont légitimes, elles traduisent des ressentis et sont de précieux indicateurs de ce qui se passe en nous. Mais elles peuvent aussi être de puissants freins qui nous empêchent de relever la tête et regarder au-delà des problèmes qui nous enferment, qui nous empêchent de reconstituer un lien aux autres, de renouer avec le dialogue.
C’est pourquoi, en tant que médiateurs de l’équipe Stop Conflit, nous attachons autant d’importance à l’accompagnement et au soutien des personnes impliquées, afin qu’elles puissent parler ouvertement et se libérer de leurs émotions, et en particulier de la culpabilité et la honte. C’est ce que nous faisons systématiquement dans des entretiens individuels, avant de réunir ces personnes et d’entamer avec elles la phase de co-construction des solutions à leur conflit. C’est seulement ainsi qu’un dialogue apaisé peut être restauré et que les personnes impliquées peuvent s’engager sans entrave, avec toute leur ouverture et créativité pour trouver une solution adéquate et pérenne à leur problème.
La culpabilité et la honte existent hélas bel et bien dans nombre de situations conflictuelles. La bonne nouvelle est que la démarche de la « médiation professionnelle » permet de s’en libérer !